Je vais tenter de vous répondre sans aucune amertume.

Je pensais que nos 1000 pages d’Africa Trek avaient suffit : je me trompais.

Si vous étiez présent à l’Insa, cela aurait été enrichissant de poser vos questions de vive voix, nous y aurions répondu point par point. Si nous nous sommes croisé dans l’Himalaya, merci de nous avoir donné du saucisson. En Afrique, à chaque fois que nous croisions des groupes de touristes, nous avions droit a des petits cadeaux de la sorte, qui remontaient le moral.

Vos questions sont très matérielles et pratiques alors que notre marche et notre démarche cherchait à se libérer de ces contingences. C’est pourquoi (surtout dans le film ) nous avons fait le choix de ne pas perdre de temps avec ces détails techniques pour nous concentrer sur l’humain et les rencontres. Mais vos questions sont légitimes et vous prouvez par vos interrogations que nous n’y avons sans doute pas assez répondu.

Tout d’abord, trois ans de vie en Afrique au contact quotidien avec des africains, n’est pas une expédition en autonomie complète au dessus du cercle polaire arctique. Partout où il y a des gens, il y a de l’eau et de la nourriture ( à condition de pouvoir avaler cette même nourriture et d’en tirer suffisamment d’énergie pour avancer) donc le problème de l’assistance ne se pose pas. Aucune équipe d’assistance aussi chevronnée soit-elle n’aurait jamais pu nous suivre en voiture. Cela aurait été beaucoup trop dur, et pour eux et pour nous, et en hors-piste (comme 30% de nos 14000 km), je ne vois pas comment ils auraient pu faire. (gérer une équipe d’assistance est un boulot à plein temps : cf Fyona Campbell, Serge Girard etc..)

Quant à l’Afrique, sachez qu’on peut y acheter des piles pour podomètre et montre swatch, qu’il y a de l’électricité pour recharger les batteries (la nôtre avait une autonomie de 10 heures, ce qui nous suffisait) , qu’on peut y acheter des chaussures, qu’on peut même les commander sur internet (comme notre tente envoyée des US et nos sacs de couchage envoyés de Cape town) et se les faire livrer dans les capitales par DHL. Mais seulement si l’on a la chance de tomber sur Naeem Omar, musulman sud-africain qui s’est pris de passion pour notre marche et nous a offert 4 de nos six paires de chaussures. Une a Nelspruit, l’autre livrée par un camion de Helen Campbell à la frontière mozambicaine, l’autre par DHL a Nairobi, la dernière par DHL à Khartoum. Qu’il en soit éternellement remercié. Il est notre seul « sponsor » mais pas notre seul bienfaiteur. Il y en a eu près de 1200. Figurez vous qu’on peut même se laver en Afrique. Souvent avec un verre d’eau, mais cela suffit. Et c’est parce que nous n’avions pas de change vestimentaire que nous faisions bien attention de ne pas nous salir. Quand nos vêtements étaient sales ( à peu près une fois par semaine) nous les lavions le soir ou pendant la sieste de midi, et ils étaient secs au moment de repartir (nous n’étions pas nus entretemps car nous revêtions notre caleçon et t-shirt de nuit). Nous avons renouvelé cette unique chemise à quatre reprises pour sonia, (des uniformes d’écolière) a deux reprises pour moi. Oui, je n’ai usé que deux chemises en trois ans, malgré la sueur et les frottements. C’est une excellente marque que je ne nommerai pas. Nous avons en revanche usé beaucoup plus de chaussettes, que nous nous faisions envoyer avec nos réassorts de pellicules (14000 diapositives) et nos K7 (430 K7). Ces réassorts se faisaient à la faveur de rencontres avec des humanitaires, des touristes, des missionnaires. Nous leur donnions nos pellicules et K7 qu'ils emportaient soit en France directement où un de nos proches les récupérait, où vers une ville plus grande par laquelle nous étions sûrs de passer et où nous les récoltions et les redonnions à un attaché culturel, un touriste ou quiconque rentrait bientôt en France. Par ce système informel nous n'avons rien perdu. Tout n'était, comme pour tout notre voyage, que question de confiance et de foi en l'autre. Il y a aussi des avions qui atterrissent en Afrique avec des proches qui peuvent nous apporter des choses. (mes parents sont venus nous voir au zimbabwé, ceux de sonia au malawi, puis en tanzanie, sa soeur au kenya, mes parents à nouveau en ethiopie, sa soeur à nouveau au soudan) Et quant aux fameuses lunettes de glacier, c'est la petite sœur de Sonia qui nous les a apportées et qui s’est même offert le luxe de marcher avec nous trois jours dans le désert de Bayuda, où elle a d’ailleurs contracté le paludisme… Ca y est ! le mystère est levé. Vous voyez c'était pas bien compliqué. Pas besoin d'imaginer des machinations.

En trois ans, il nous est rarement arrivé de marcher sans rencontrer une prise électrique pendant une semaine, (Natron, Turkana, Woleyta, Ca doit etre tout) alors nous rechargions la batterie et tournions à l’économie. Nous avons pour ainsi dire presque jamais manqué de jus, de pellicules ou de K7

Quant aux séquelles laissées par ce voyage, elles sont surtout visibles dans le cœur. Nous sommes rassurés sur le genre humain et débordons d’amour à son égard. Notre corps a pourtant subi les outrages du temps et de l’espace, disques et cartilages usés, nous avons perdus chacun 5 molaires pour cause de déminéralisation et de carences alimentaires, avons souffert deux fois chacun de la malaria, cérébrale pour moi, et divers autres impédimentas inévitables à l’authenticité, au rang desquels le pire reste les puces… Mais il faut reconnaître que l’Afrique a été bonne avec nous et que le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd (bilharziose, amibes, filaires….) Pour les dernières questions : pour lutter contre le soleil, rien ne vaut un chapeau et des manches longues.

Pour les livres, j’ai plutôt eu tendance à en enlever, pour être plus crédible, car il y a un effet de condensation et d’accumulation inhérent au support et au fait que l’on ne mette pas trois ans à les lire. Quand trois hôtes ou trois histoires se ressemblaient, nous n’en conservions qu’une.

Le seul vrai doute (là encore légitime) qui pourrait subsister sur notre voyage (et la seule vraie question, c'est pour cela que j'anticipe) est le fait de savoir si nous avons vraiment tout marché et si nous n'avons jamais cédé à la tentation quotidienne des camions qui s'arrêtaient à notre hauteur pour nous proposer d'embarquer pour quelques kilomètres afin d'abréger nos souffrances. Je vous remercie de la grâce que vous nous faites de ne pas douter de cela, car en effet, nous n'avons jamais cédé à cette facilité, sachant qu'elle aurait été pour nous suicidaire et que nous n'aurions jamais pu remarcher le lendemain. C'était pour nous l'interdit suprême. Nous ne l'avons jamais transgressé. Et nous gagnions pour cela une grande estime auprès des africains qui en étaient témoins. Leur mentir aurait été trahir leur confiance, car ils étaient généreux avec nous parce qu'ils nous voyaient marcher. C'était le prix à payer à l'authenticité de notre démarche. Si nous n'avions pas marché (comme des routards normaux) il aurait fallu rémunérer nos hôtes (pour leur prestation de services) comme le font tous les "touristes normaux". Notre rapport était différent, et c'était pour inverser ce rapport habituel que les occidentaux ont à l'Afrique, que nous avons voulu marcher. L'échange était immatériel encore une fois. Humain et tellement plus riche, fait d'émotion et de sympathie, de compassion et d'empathie. De joie.

Nous ne sommes pas allés au festival des globe trotters car cela faisait déjà deux ans de suite que nous y allions et que nous ne voulons pas être des « professionnels de l’aventure » comme vous vous définissez. Nous ne nous qualifions d’ailleurs jamais « d’aventuriers » mais "d'écrivains voyageurs" et ce que nous avons fait, toute personne un peu motivée, et habitée par d’autres soucis que matériels, serait capable de le faire.

Voilà, j’espère que j’aurai pu commencer à répondre à vos questions, et combler ainsi quelques lacunes dans notre communication. Un blog est là pour ça, merci de m’avoir donné cette occasion. Pardonnez nous si nous ne répondons pas très vite car nous sommes débordés et n’avons toujours pas récupéré la capacité de gérer la vitesse et la complexité de notre société occidentale. Je regrette seulement que vous ayiez emprunté le nom de mon seul et unique ami, qui lui, ne m’aurait jamais posé ce genre de questions car il en connaît toutes les réponses. Si c’est vraiment votre nom, c’est une drôle de coïncidence. Quant à Kho Lanta, sachez, pour la petite histoire, que j’ai été appelé en Septembre 2000 par le producteur de ce programme, car il me pressentait comme présentateur éventuel. Il m’invitait à faire un bout d’essai. J’ai décliné poliment en le remerciant d’avoir pensé à moi et en lui disant que je préparais une véritable aventure, humaine avant d’être sportive et sensationnaliste.

Pour conclure, je vous dirai que la clef de notre voyage est celle la même qui vous impressionne : le temps. Nous avons pris le temps. Et c’est ce qui a le plus de valeur. Et qui manque le plus, à la plupart des voyageurs. C’est le temps qui a réglé tous nos problèmes, et le temps ne s’achète pas. Il se vit. Si Africa Trek avait été une course, ou un défi, ou un jeu, nous serions sans doute morts. Nous avons été tellement heureux pendant ces trois ans et trois mois, que nous en sommes revenus multipliés…Oui, on peut même faire des bébés en Afrique, même s'il faut reconnaître nous avons eu bien peu d’intimité.

Sans doute se recroisera-t-on lors d’une future conférence, et j’espère pouvoir répondre plus en profondeur à vos autres questions, et pardonnez encore notre manque de réactivité sur ce site. Nous allons essayer de nous améliorer.

Africalement

Alexandre et Sonia.